INTERVIEW JAMENDO VS ALTERLABEL
11/11/2008
Quand et comment Alterlabel a-t-il été créé, et par qui?
Nous étions tous amis et nous faisions de la musique depuis quelques années. Un certain nombre d’entre-nous avaient monté des groupes de post-rock ou de rock psychédélique. On écoutait tous du rap (l’âge d’or du hip-hop, c’est pour moi 1995) et, comme tout le monde, nous avons pris de plein fouet la vague techno venue d’Angleterre au début des 90’s. A la fin des années 90, je jouais de la basse dans un quartet math rock nommé Ars Nova, avec Drixa à la guitare et Sunruhe à la batterie. Pour différentes raisons (études, boulot, envie de voir ailleurs…), la plupart d’entre-nous ont déménagé de Montpellier, qui constituait alors l’épicentre de nos activités musicales. Du coup, en l’espace d’une année, nous nous sommes retrouvés disséminés un peu partout : Paris, Bruxelles, Toulouse, Montpellier, Barcelone… Plutôt que d’arrêter de faire de la musique, cette distance géographique a eu l’effet d’un catalyseur. On s’est mis à faire des prods sur nos ordi, à enregistrer des morceaux tout seul dans son coin, en pensant aux réactions que les autres allaient avoir. Que cela soit sur le plan technique ou artistique, on a découvert pleins de choses à ce moment-là et on a commencé à acquérir du matériel et des machines. Au bout d’un moment, on a constaté qu’on avait accumulé beaucoup de morceaux sympas, qui pour la plupart étaient de bonne qualité, originaux et qui laissaient percevoir les personnalités musicales de chacun. Feat The Vibe a alors eu l’idée géniale de créer un site Internet sur lequel nous pourrions héberger ces morceaux. En gros, tout est parti de là. En commençant à construire le site, nous avons trouvé le nom « alterlabel ». C’était il y a bientôt cinq ans…
Aujourd'hui, Alterlabel, c'est qui? Y a-t-il une équipe dirigeante, est-ce une sorte de constellation libre..? Le point central est à Nîmes..?
Alterlabel est un collectif plus ou moins extensif constitué autour d'un noyau dur de huit personnes : Abelcoast, Kid Charlemagne, Feat The Vibe, Mr Frites, Drixa, Damnator, Sunruhe et Dr Deft.
Nous nous sommes connus au lycée à Nîmes mais il n’y a plus qu’un membre qui y habite toujours. Aujourd’hui, nous faisons quelques concerts, essentiellement sur Montpellier et Paris. Mais c’est vrai que c’est dans le sud que nous avons nos racines. Feat The Vibe et MacroAbstract (le groupe dub électro de DrDeft) ont vraiment réussi à se créer un public local, notamment par le biais de plusieurs collaborations avec une compagnie de théâtre prometteuse (Primesautier Théâtre avec qui Terra Incognita travaille depuis 2003), ou en participant à des festivals.
Est-ce que alterlabel est une « constellation libre » ? En dehors du fait que j’aime bien l’expression, je dirais que je suis plutôt d’accord avec cette image. Nous considérons être libre de faire ce que l’on souhaite musicalement sans jamais se mettre des barrières a priori. Tous les membres du collectif ont des productions solos, chacun fait partie d’une ou plusieurs sous-formation… Ce qui renvoie un peu à la métaphore de la constellation. Pour bien faire comprendre notre fonctionnement, je vais parler de mon cas : votre dévoué Kid Charlemagne forme un duo ambient avec Drixa qui s’appelle Sensible, une paire hip-hop redoutable avec Abelcoast et joue de la basse dans le Damnator Orchestra ainsi dans sa version noise rock Alterchaos avec tous les autres cités plus haut.
Comment fonctionnez vous comme label? Cherchez-vous à vendre la musique ou pas du tout? Diffusez vous par d'autres biais que Jamendo? Est-ce que Jamendo représente un moyen de diffusion important pour vous? Comment voyez-vous l'évolution de l'industrie musicale? Quelle est votre position sur la gratuité, les sources de revenus, tout ça?
Je ne peux pas dire vraiment comment nous fonctionnons comme label. Nous faisons avec les moyens du bord, en fonction des envies et disponibilités de chacun… Pour diffuser notre musique, nous utilisons notre site internet où nous proposons une cinquante de morceaux et une dizaine de vidéos en téléchargement libre. Nous avons mis presque tout notre catalogue (2 LPs et 2 compilations) en libre accès sur Jamendo qui représente à nos yeux une source de diffusion très pertinente. Enfin, et à l’exception de quelques irréductibles, chaque membre du collectif administre sa page myspace comme bon lui semble. Enfin, en ce qui concerne la vente de la musique, nous avons un point de vue partagé aussi bien en tant qu’artiste, qu’en tant qu’auditeur. D’un côté, nous sommes totalement pour la gratuité de l’accès à la culture (nous avons d’ailleurs adopté la licence Creative Commons), de l’autre, nous sommes conscient qu’un artiste doit pouvoir avoir le minimum pour vivre et que « tout travail mérite salaire ». Je me rappelle d’avoir lu un jour une interview de Brad Hammers, un excellent rappeur blanc américain underground. Il était parvenu à se faire connaître en Europe par un petit groupe d’initiés. Pourtant, il lui était impossible de venir de ce côté-ci de l’Atlantique, il n’était pas sûr de pouvoir produire une suite à son album, il travaillait à Wal Mart pour un salaire de merde. Il souffrait réellement de ne pas pouvoir se concentrer juste sur la musique parce qu’il avait un loyer à payer. L’interview était assez déprimante… Mais bon, ce dont il parle, on le connaît tous un peu dans alterlabel puisqu’on travaille tous à côté, ce qui nous prend l’essentiel de notre temps.
Pour en revenir au téléchargement, j’ai une éthique assez simple : je n’ai aucun scrupule à télécharger le dernier album d’un groupe signé sur un gros label. Par contre, j’essaie d’encourager les artistes qui galèrent et qui sont, vu le peu de ressources qu’ils tirent de leur art, beaucoup plus désavantagé par le développement de la pratique du téléchargement que les pompes à fric représentée par les Majors du disque. Quand un artiste me plait et qu’il propose gratuitement sa musique, j’aime bien l’idée de lui acheter un tee-shirt ou quelque chose dans le genre. Si un artiste que je ne connais pas passe en concert près de chez moi, je peux éventuellement télécharger son album. Si cela me plait vraiment, je lui achèterai directement après le concert… J’aime bien l’idée d’acheter un disque directement à la personne qui l’a réalisé…
Comment est venue l'idée de mêler electro et hip hop?
Mêler electro et hip hop n'est pas tellement original. Au début des années 80, au moment de l’émergence du hip-hop et l’electro, les deux genres étaient d’ailleurs inextricablement liés. Plus globalement, que ce soit pour la musique électronique ou le hip-hop, je pense que le mélange est constitutif du genre. C'est vrai pour pleins de style de musique, mais c'est particulièrement clair en ce qui concerne ces deux styles : par exemple, sur le plan mélodique, Le rap est une musique construite à base de samples qui se nourrit et recycle des thèmes soul, funk, pop, jazz, ou encore de musique « classique ».
Musicalement, nous sommes tout sauf sectaire. J’ai d’ailleurs du mal à comprendre que l’on puisse s’enfermer dans un seul style de musique, que des musiciens essaient de copier un groupe en particulier allant jusqu’à adopter le même look vestimentaire que leurs « idoles ». Aujourd’hui grâce au moyen du téléchargement et à l’énorme travail de réédition accomplie par certains label depuis une quinzaine d’années (je pense par exemple au label français Soul Jazz Records), tout est accessible facilement. La diversité de la création musicale des 50 dernières années est tellement fascinante. Il est vraiment possible de découvrir énormément de disques géniaux venant des quatre coins du monde et d’approche tout à fait différente. Albelcoast qui est le beatmaker numéro 1 d’alterlabel est par exemple fanatique de bossa nova.
Du côté d’alterlabel, nous adorons les mélanges de genres. Dans le Damnator Orchestra (DO), nous avons radicalisé cette démarche. En effet, les membres du DO forment, déforment et reforment le Damnator Orchestra pour célébrer, à travers des performances improvisées, l'union des contraires : disco spatiale et hip-hop vintage, guitares western spaghetti et spéculations bruitistes, house de salon et esprit keupon, new wave et no wave, pop psychédélique et acid funk synthétique…
Y a-t-il des artistes ou labels dont la démarche vous plaît et dont vous vous êtes inspirés ?
Enormément. Après ça dépend forcément du style de musique dont on parle et de la manière dont un label communique, cultive son image, constitue un catalogue cohérent…
Sur le plan « philosophique », nous avons toujours préféré les musiciens qui montaient leur propre label; les groupes qui enregistraient eux-mêmes leurs albums dans leur propre studio. Quand j'étais adolescent, l'un des groupes qui a le plus compté pour moi fut Fugazi. « Discord » représentait quelque chose à mes yeux de vraiment singulier. L'approche de la musique de Ian MacKaye, le guitariste et chanteur de Fugazi et inventeur du mouvement straight edge, l’éthique et l'intégrité que l’on associe à l’homme, m'ont toujours fasciné. Le hardcore de Washington sonnait comme du punk-rock, mais c’était quelque chose de très sérieux. Fugazi a fait des centaines de concerts aux Etats-Unis, jamais les places n’ont coûté plus de cinq dollars. Ce type de démarche m'a construit. Je me retrouve complètement dans l’approche DIY (Do It Yourself).
Quelque part, je ne comprends pas pourquoi tous les groupes ne montent pas leur propre label d'autoproduction. C'est vrai que cela demande un réel investissement mais je crois que cela en vaut la peine. Tous les éléments du processus de création musicale sont intéressants à mener parce qu'ils constituent des expériences humaines qui sont extrêmement enrichissantes. Chacun peut développer ses qualités propres (l’un va réaliser les pochettes, un autre administrer le site Internet, un autre prendre en charge des aspects logistiques ou techniques etc…)
À titre personnel, si je devais donner cinq noms de label dont j’aime le catalogue, comme ça, sans réfléchir, je dirais Constellation, Big Dada, Rune Gramoffon, Stones Throw, DFA... Pour parler d’un petit label français qui monte, je citerai les gars d’Angers d’Egotwister. Enfin, je dirais que nous sommes admiratifs du travail réalisé par le label new-yorkais d’Animal Collective Paw tracks records. Il s’agit ici d’une démarche qui ressemble un peu à la nôtre (la base est un collectif avec plein de sous-formations entre les membres, la réalisation des pochettes est faite maison, les disques sont autoproduits…)
Combien d'artistes font partie d'alterlabel? D'ailleurs, faire partie d'alterlabel, ça consiste en quoi au juste?
En plus des 8 membres qui constituent le noyau dur d’alterlabel se rajoute plusieurs personnes avec qui nous faisons de la musique ou alors dont la démarche nous a touché. Nous jouons beaucoup avec Zikkat, qui est le seul à pratiquer un instrument à vent (le sax est son instrument de prédilection). Mica est un musicien qui vit à Barcelone et dont la musique nous a beaucoup plu. Il collabore avec nous sur des pièces de théâtre notamment. Plus récemment, nous avons rencontré un mec super qui s’appelle G. Il est très talentueux. Feat The Vibe a su construire une relation particulière avec ces trois personnalités. Il a fait plusieurs concerts avec Zikkat et G. Il a un rôle central dans Alterlabel. C’est lui qui nous a amené à croire en nos capacités. Il faut dire qu’il exerce (dans le civil) la très estimable profession de musicothérapeute…
Sinon du côté de MacroAbstract, se rajoute en plus de Dr Deft, MrBaK et LaBb..0.at.. MacroAbstract vient de réaliser une compilation en libre téléchargement témoignant de leur complicité sonore avec les rappeurs de Minuit Cinq, un Crève Dans Ta Bave vol.1. Celle-ci est le fruit de quelques années d'échanges numériques entre Nîmes, Paris et la Réunion et propose un mélange rap, electro, dub, hardtek très réussi avec des lyrics vraiment hardcore.
Dans un esprit tout aussi hardcore (mais avec des lyrics en anglais), une autre formation animée par Damnator qui a pour nom More Underground Than Hell (MUTH) compte trois autres membres Krank, Decay et Diskord. MUTH produit un rap expérimental noir et dense et déjanté.
Enfin, Sunking complète le tableau. Celui-ci a joué dans Dièse, la formation trip-hop composée par Sunruhe et Feat The Vibe. Aujourd’hui, il travaille plus essentiellement avec Sunruhe sur un nouveau projet pop psyché…
Au total, alterlabel est donc constitué d’une grosse quinzaine de membres.
Est-ce que vous avez des contacts hors de france?
Pas vraiment. Mr Frites a fait des concerts avec un jeune et excentrique songwriter allemand nommé Evol Bum Pearl. Sinon, nous avons quelques contacts en Belgique, ce qui devrait nous permettre d’organiser un concert à Bruxelles sous peu. Plus concrètement, LaBb..0.at, un des membres de MacroAbstract possède des contacts en Roumanie (ses parents sont des réfugiés politiques roumains qui ont été obligé de quitter leur pays sous Ceauşescu). Macro a joué cet été durant un festival dédiée aux cultures underground (je crois qu’il y a avait des murs de graffs et des contests de skate au programme) qui s’est déroulé à Arad. Grosse perf, ils ont joué pendant trois jours consécutifs, 10 heures d’affilée à chaque fois. Les gens étaient super contents de pouvoir entendre quelque chose comme de la « musique électronique française ». Ce road trip a constitué une expérience humaine et artistique intense pour MacroAbstract où la musique en tant que langage universel abolit les frontières, les différences entre les cultures.
Globalement, nous avons quand même des difficultés pour nous faire entendre à l’étranger. Bien sûr, Jamendo est un plus à ce niveau là. C’est super sympa de voir des commentaires sur sa musique d’utilisateurs allemands ou espagnols. Je crois que notre musique pourrait être mieux accueillie à l’étranger qu’elle ne l’est en France. Par exemple, on a eu plusieurs articles sur des blogs allemands.
Quel a été votre plus grand 'succès' à ce jour? Un artiste qui a fait parler de lui, un morceau qui a été énormément téléchargé...?
Nous croyons beaucoup à Mr Frites dont les prestations live sont, chaque fois de meilleure qualité que les précédentes. Mr Frites a un truc en plus. Il a réalisé un album de très bonne facture l’an passé (qui était en fait une compilation de ses meilleurs titres enregistrés sur les cinq dernières années) que l’on peut se procurer sur le site d’alterlabel. Il travaille actuellement sur un nouvel opus. C’est aussi le cas d’Abelcoast et de Dièse.
Et enfin, qui répond à cette interview? Pourrais-je avoir ton nom et ta fonction?
Je suis Kid Charlemagne aka Barock Abama, Président d’alterlabel.
Merci!
Patrick